L'obligation du pass vaccinal à l'entrée des évènements culturels, comme ici au festival des Vieilles Charrues le 8 juillet, pose des problèmes sur le plan des données personnelles, mais également sur celui des inégalités face à la culture. Sammer Al-Doumy
Alors qu’une telle mesure permettrait d’alléger les restrictions sanitaires en préservant l’accès à la vie publique, elle pose néanmoins de sérieux problèmes sur le plan moral et n’a d’ailleurs pas manqué de susciter de nombreuses manifestations en France samedi 17 juillet.
Lors du début de la campagne de vaccination en janvier 2021, s’appliquait le principe du consentement libre et éclairé du patient.
Or, les annonces de l’obligation vaccinale pour les personnels des établissements de santé, et surtout la généralisation du pass sanitaire, changent la donne.
Sans rendre la vaccination obligatoire pour toute la population (ce qui reviendrait à renoncer au principe de consentement), le pass la rendra effectivement nécessaire à terme, sauf immunité attestée ou test PCR aux frais de la personne, pour accéder à l’espace public (transports de longue distance, hôpitaux, restaurants, lieux de loisir et de culture, centres commerciaux…).
Cette mesure contraint la population non seulement sur ses choix vaccinaux, mais également en lui demandant de justifier de son identité et de son état de santé.
Dans un précédent article, j’avais argumenté que l’obligation du port du masque ne constituait pas une atteinte aux libertés fondamentales.
Au contraire, combinée avec d’autres mesures de prophylaxie, et bien que fortement critiquée par certains comme une mesure liberticide, elle permettait de garantir nos libertés en maintenant l’espace public accessible avec des précautions peu coûteuses sur le plan individuel.
Le pass sanitaire, cependant, pose des problèmes d’un tout autre ordre. La difficulté n’est pas l’obligation vaccinale en tant que telle, puisqu’onze vaccins sont actuellement obligatoires en France, comme les vaccins contre le tétanos ou la diphtérie par exemple.
Beaucoup plus problématique est le caractère non-obligatoire mais néanmoins exigé du vaccin contre la Covid-19, qui risque de provoquer des exclusions et d’accroître les inégalités, surtout parmi les populations déjà fragilisées.
L’aspect le plus problématique de cette mesure concerne son application aux mineurs à partir de l’âge de 12 ans. La difficulté ne relève pas uniquement de leur capacité cognitive à prendre une décision autonome et informée sur la vaccination.
Plus problématique est le fait que leur accès même aux services de santé, et donc à la vaccination, passe par leurs parents, et demeure soumis à la volonté et aux convictions de ceux-ci ; en effet l’accord des deux parents reste obligatoire pour se faire vacciner avant 18 ans.
Cela veut dire concrètement que les jeunes dont les parents refusent la vaccination pourraient se voir exclus de fait de la vie culturelle et publique.
S’il n’est pas pour l’heure prévu d’étendre la vaccination obligatoire ou le pass sanitaire à l’école, certains élèves pourraient se trouver dans l’impossibilité de participer aux activités extra-scolaires et aux sorties qui font pleinement partie de l’éducation.
Sans pouvoir accéder aux musées, aux cinémas, aux bibliothèques, aux activités sportives ou aux lieux de rencontre, c’est leur possibilité de se construire en se confrontant à d’autres perspectives et à d’autres milieux culturels qui risque d’être compromise.
Lors du début de la campagne de vaccination en janvier 2021, s’appliquait le principe du consentement libre et éclairé du patient.
Or, les annonces de l’obligation vaccinale pour les personnels des établissements de santé, et surtout la généralisation du pass sanitaire, changent la donne.
Sans rendre la vaccination obligatoire pour toute la population (ce qui reviendrait à renoncer au principe de consentement), le pass la rendra effectivement nécessaire à terme, sauf immunité attestée ou test PCR aux frais de la personne, pour accéder à l’espace public (transports de longue distance, hôpitaux, restaurants, lieux de loisir et de culture, centres commerciaux…).
Cette mesure contraint la population non seulement sur ses choix vaccinaux, mais également en lui demandant de justifier de son identité et de son état de santé.
Dans un précédent article, j’avais argumenté que l’obligation du port du masque ne constituait pas une atteinte aux libertés fondamentales.
Au contraire, combinée avec d’autres mesures de prophylaxie, et bien que fortement critiquée par certains comme une mesure liberticide, elle permettait de garantir nos libertés en maintenant l’espace public accessible avec des précautions peu coûteuses sur le plan individuel.
Le pass sanitaire, cependant, pose des problèmes d’un tout autre ordre. La difficulté n’est pas l’obligation vaccinale en tant que telle, puisqu’onze vaccins sont actuellement obligatoires en France, comme les vaccins contre le tétanos ou la diphtérie par exemple.
Beaucoup plus problématique est le caractère non-obligatoire mais néanmoins exigé du vaccin contre la Covid-19, qui risque de provoquer des exclusions et d’accroître les inégalités, surtout parmi les populations déjà fragilisées.
Un problème moral, surtout pour les plus jeunes
L’aspect le plus problématique de cette mesure concerne son application aux mineurs à partir de l’âge de 12 ans. La difficulté ne relève pas uniquement de leur capacité cognitive à prendre une décision autonome et informée sur la vaccination.
Plus problématique est le fait que leur accès même aux services de santé, et donc à la vaccination, passe par leurs parents, et demeure soumis à la volonté et aux convictions de ceux-ci ; en effet l’accord des deux parents reste obligatoire pour se faire vacciner avant 18 ans.
Cela veut dire concrètement que les jeunes dont les parents refusent la vaccination pourraient se voir exclus de fait de la vie culturelle et publique.
S’il n’est pas pour l’heure prévu d’étendre la vaccination obligatoire ou le pass sanitaire à l’école, certains élèves pourraient se trouver dans l’impossibilité de participer aux activités extra-scolaires et aux sorties qui font pleinement partie de l’éducation.
Sans pouvoir accéder aux musées, aux cinémas, aux bibliothèques, aux activités sportives ou aux lieux de rencontre, c’est leur possibilité de se construire en se confrontant à d’autres perspectives et à d’autres milieux culturels qui risque d’être compromise.
La situation est d’autant plus préoccupante que ces restrictions risquent de fragiliser encore plus les individus les plus marginalisés et les plus défavorisés au sein de notre société, et d’accroître les inégalités d’opportunité déjà bien présentes.
Il convient de se demander si cette mesure ne représente pas un coût trop élevé pour la jeunesse, d’autant plus qu’elle fait porter une grande part de la responsabilité de la protection de la vie des plus vulnérables aux jeunes qui, pour l’instant du moins, tirent un faible bénéfice de la vaccination.
Et cela alors même que les adultes les plus à risque de contracter et de mourir du SARS-CoV-2 (les populations âgées ou souffrant de comorbidités) bénéficient du droit de refuser la vaccination.
Pour les adultes également, l’introduction du pass sanitaire risque d’accroître les inégalités et les fractures au sein de la société. Les plus vulnérables et marginalisés, notamment les sans domicile fixe et les personnes en situation irrégulière, ont effectivement plus facilement accès à la vaccination en France que dans certains autres pays européens. Leur accès à l’information et leur situation sociale peuvent néanmoins constituer un frein.
Concernant la liberté de circuler au sein de l’Union européenne, les mesures risquent de porter atteinte aux droits des non-résidents de circuler en France, compte tenu du fait que l’UE ne dispose d’assez de doses que pour vacciner 70 % de sa population adulte et que les stratégies vaccinales varient d’un pays à l’autre. Le pass vaccinal est ainsi susceptible de remettre en question la réalité de l’espace Schengen.
Au-delà des inégalités d’accès à la sphère publique, cependant, l’introduction du pass sanitaire pour des activités de la vie quotidienne pose un sérieux problème concernant la divulgation et la protection des données personnelles.
Avec la mise en place du pass, il reviendra à chacun d’entre nous de choisir entre accepter de divulguer des informations sur notre identité et notre état de santé pour accéder aux lieux publics, ou renoncer à fréquenter ces lieux.
Pour beaucoup de personnes qui devront continuer de se rendre au travail par des transports ou dans des lieux exigeant le pass, il s’agira d’un choix contraint.
Le 3 mai, le conseil scientifique avait d’ailleurs estimé que puisque le pass utilise des données personnelles, l’on devait limiter son usage aux seuls événements rassemblant un grand nombre de personnes et l’exclure pour des actes de la vie quotidienne.
Il va de soi que les situations d’urgence requièrent des mesures fortes et parfois des restrictions imposées à nos libertés individuelles. Encore faut-il que les politiques mises en place veillent à enfreindre le moins possible ces libertés, en évitant de créer de nouvelles vulnérabilités.
Or la mise en place du pass sanitaire pourrait s’avérer un prix trop fort à payer pour retrouver la vie d’avant et « tomber les masques », comme promis par Olivier Véran le 13 juillet.
Dans tous les cas, il semble peu légitime de l’étendre aux mineurs et de leur en faire supporter les conséquences sans qu’ils ne bénéficient du droit de décider par eux-mêmes de leur vaccination.
Il faut bien entendu tout mettre en œuvre pour sauver des vies, et cela exige des sacrifices de la part de chacun d’entre nous. Mais il n’est pas acceptable de sacrifier certaines parties de la population pour en sauver d’autres.
Si le pass sanitaire augmente les inégalités d’accès à l’espace public et à la culture, il nuira gravement aux conditions d’existence de segments entiers de la population déjà fragilisés, qu’il est également du devoir de l’État de protéger.
Dans ce contexte, une obligation vaccinale pour l’ensemble de la population adulte pourrait être une moins mauvaise solution, en tout cas sur le plan moral, bien qu’il eût été dans tous les cas nettement préférable de miser sur la persuasion plutôt que la coercition.
Les principes d’autonomie et de consentement libre et éclairé restent parmi les plus fondamentaux pour garantir le respect de nos libertés individuelles.
Y renoncer (dans ce cas bien précis) se justifie peut-être compte tenu des millions de morts de la Covid-19 dans le monde, et des conséquences très lourdes des mesures de confinement. Cela doit rester un choix de dernier recours.
Et cela alors même que les adultes les plus à risque de contracter et de mourir du SARS-CoV-2 (les populations âgées ou souffrant de comorbidités) bénéficient du droit de refuser la vaccination.
Et pour les adultes ?
Pour les adultes également, l’introduction du pass sanitaire risque d’accroître les inégalités et les fractures au sein de la société. Les plus vulnérables et marginalisés, notamment les sans domicile fixe et les personnes en situation irrégulière, ont effectivement plus facilement accès à la vaccination en France que dans certains autres pays européens. Leur accès à l’information et leur situation sociale peuvent néanmoins constituer un frein.
Concernant la liberté de circuler au sein de l’Union européenne, les mesures risquent de porter atteinte aux droits des non-résidents de circuler en France, compte tenu du fait que l’UE ne dispose d’assez de doses que pour vacciner 70 % de sa population adulte et que les stratégies vaccinales varient d’un pays à l’autre. Le pass vaccinal est ainsi susceptible de remettre en question la réalité de l’espace Schengen.
Au-delà des inégalités d’accès à la sphère publique, cependant, l’introduction du pass sanitaire pour des activités de la vie quotidienne pose un sérieux problème concernant la divulgation et la protection des données personnelles.
Avec la mise en place du pass, il reviendra à chacun d’entre nous de choisir entre accepter de divulguer des informations sur notre identité et notre état de santé pour accéder aux lieux publics, ou renoncer à fréquenter ces lieux.
Pour beaucoup de personnes qui devront continuer de se rendre au travail par des transports ou dans des lieux exigeant le pass, il s’agira d’un choix contraint.
Le 3 mai, le conseil scientifique avait d’ailleurs estimé que puisque le pass utilise des données personnelles, l’on devait limiter son usage aux seuls événements rassemblant un grand nombre de personnes et l’exclure pour des actes de la vie quotidienne.
Protéger les vulnérables sans créer de nouvelles vulnérabilités
Il va de soi que les situations d’urgence requièrent des mesures fortes et parfois des restrictions imposées à nos libertés individuelles. Encore faut-il que les politiques mises en place veillent à enfreindre le moins possible ces libertés, en évitant de créer de nouvelles vulnérabilités.
Or la mise en place du pass sanitaire pourrait s’avérer un prix trop fort à payer pour retrouver la vie d’avant et « tomber les masques », comme promis par Olivier Véran le 13 juillet.
Dans tous les cas, il semble peu légitime de l’étendre aux mineurs et de leur en faire supporter les conséquences sans qu’ils ne bénéficient du droit de décider par eux-mêmes de leur vaccination.
Il faut bien entendu tout mettre en œuvre pour sauver des vies, et cela exige des sacrifices de la part de chacun d’entre nous. Mais il n’est pas acceptable de sacrifier certaines parties de la population pour en sauver d’autres.
Si le pass sanitaire augmente les inégalités d’accès à l’espace public et à la culture, il nuira gravement aux conditions d’existence de segments entiers de la population déjà fragilisés, qu’il est également du devoir de l’État de protéger.
Dans ce contexte, une obligation vaccinale pour l’ensemble de la population adulte pourrait être une moins mauvaise solution, en tout cas sur le plan moral, bien qu’il eût été dans tous les cas nettement préférable de miser sur la persuasion plutôt que la coercition.
Les principes d’autonomie et de consentement libre et éclairé restent parmi les plus fondamentaux pour garantir le respect de nos libertés individuelles.
Y renoncer (dans ce cas bien précis) se justifie peut-être compte tenu des millions de morts de la Covid-19 dans le monde, et des conséquences très lourdes des mesures de confinement. Cela doit rester un choix de dernier recours.
Cependant, nous renoncerions à quelque chose de bien plus essentiel en actant l’exclusion de fait d’une partie de la population de l’espace public.
Mélissa Fox-Muraton, Professeur de Philosophie, Groupe ESC Clermont
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.